mardi 24 septembre 2019

De la culpabilité judéo-chrétienne...


Vous connaissez peut-être la culpabilité du jeune parent qui laisse son mioche de 3 mois à la crèche pour retourner au turbin, de la mère qui continue à tirer son lait pour essayer de continuer à l’allaiter et préparer ses repas maison alors que son gosse se fait intoxiquer par de la bouffe dans des barquettes en plastique. 

Et bien je vous présente la culpabilité, induite, créée , entretenue par la société, les médecins, la belle grande culpabilité de la mère qui recommence à travailler alors que sa fille est toujours en traitement pour un cancer. Quoi, tu retravailles?et ça va aller? Elle est guérie alors? C’est bien long comme traitement ...Elle retourne à l’ecole quand? Et qui va la garder ? Tu verras , ça va te faire du bien!

Réponses et observations en vrac passablement exaspérées : 
Oui, je retravaille parce que je ne peux pas me permettre de rester sur la mutuelle si je veux continuer à vivre décemment si tu vois ce que je veux dire , au bout de 7 mois d’incapacité, les indemnités baissent tu piges? J’ai /on  a une baraque où on a fait des transformations à payer , des gosses qui ont besoin de s’habiller , de la bouffe de qualité à acheter, des factures à payer, bref, la vie... Alors ça va aller? et bien je n’en n’ai aucune putain d’idée moi, j’ai toujours un cerveau qui fonctionne à peu près , moi je ne suis pas malade, mon diplôme et mes « connaissances » n’ont pas été détruits avec les cellules cancéreuses de ma fille , j’ai probablement encore moins de patience qu’avant et une légère tendance à l’exaspération à l’écoute des plaintes d’autrui...
Et puis non, elle n’est pas encore guérie , chaque cancer est différent et les chimios sont longues, et on prend du retard pour un rhume, le corps qui peine à se remettre , avoir regardé toutes les saisons de Grey’s anatomy ou avoir épluché Doctissimo ne fait pas de vous des experts es cancer malheureusement, moi aussi j’ignorais ça ...
Qui va la garder si on bosse ? et bien on a pensé au chat ou alors à l’apprentissage de l’autonomie , de la survie et de l’autogestion genre Men Vs Wild tu vois ? On verra bien quand on aura  un horaire son père et moi et on s’organisera pardi, on n’a pas trop le choix .
 Et l’école ? et bien, vu l’hygiène, des sanitaires entre autres, des écoles de la Ville de Liège et de l’immunité de nouveau-né de ma fille ( pas besoin de faire ses anticorps, elle n’en n’a plus) , disons qu’il faudra attendre 2 mois post-dernière chimio pour ça , c’est à dire ON NE SAIT PAS QUAND CE SERA FINI, vu? Pigé? Understand? Claro? Hai capito?  È chiaro? 

Alors, oui , je sens les soupirs et haussements de sourcils « voila qu’elle recommence à se plaindre celle-là » . Si ça t’emmerde, pas besoin de me lire, si ça te touche ou si tu te dis « ouf », dis toi que t’as de la chance que ça ne soit pas tombé sur ta gueule ou celle de ton gosse (c’est la faute à pas de chance, c’est une loterie Madame, dixit les Grrrrands médecins surdiplômés/ à ce prix là j’aurais préféré gagner à l’euro million).

Bien sûr, je suis totalement inadaptée au travail depuis que j’ai recommencé  et j’avance dans les couloirs comme un robot en stress post traumatique, je m’adresse aux étudiants en regardant le mur et je planterai le premier qui me manquera de respect (humour), bien sûr que ça va me déchirer le cœur d’aller donner cours quand je saurais que ma fille est à la maison mais qu’est ce que la société me propose comme alternative décente ? Je ne vais quand même pas faire le tapin pour arrondir mes fins de mois ou me faire sponsoriser par une multinationale pour rester à la maison avec ma môme? Travailler c’est rester dans le mouvement , se dire que ça avance, qu’un jour tout ça sera derrière nous, que la vie « normale » reprendra son cours , qu’on garde le lien avec les autres, qu’on aura traversé le désert , que le meilleur reste à venir , qu’on on sera plus forts (plus ridés, avec beaucoup de cheveux gris, un pac en plus, un organe et des cheveux en moins) , bref tous les slogans de Flow Magazine...

Et la case enfant handicapé à cocher sur le formulaire p50, on en parle? Le truc horrible, où tu t’es dit pendant des années : « oh putain la loose , si je la cochais pour ‘rire’ ? » et bien non là, tu peux la cocher pour du vrai …

Allez, vive la rentrée!

Les Autres


Il a des combats que l’on ne peut pas mener seuls, il a des peines que l’on ne peut pas intérioriser. Tout ce qui touche a l’enfant est sacré dans nos sociétés , on le fête , on le gâte, on le surprotège, on construit sa vie amoureuse, familiale, professionnelle autour de lui et de son épanouissement. Passées les réjouissances de la naissance , on commence à apprivoiser cet être  qui pleure sans raison, demande toute notre attention , jour et nuit, nous épuise, nous vide de toute notre énergie mais nous rends tellement heureux. 
La maternité n’était pas pour moi une évidence , j’ai longtemps dû répondre à la pression sociale et aux  questions « et toi, c’est pour quand ? », «  tu nous ferais pas un petit deuxième? ». Depuis quand les gens décident de la vie intime de votre utérus? 
Et puis ça arrive, ce n’est pas toujours prévu, on change des habitudes, on déménage, on réorganise sa vie sociale, professionnelle parce il y aura les sans et les avec, les sans qu’on voit avec plaisir parce qu’ils sont toujours là et nous voient toujours comme des humains, les sans qu’on évite parce qu’ils sont trop centrés sur l’évolution de leur  patrimoine immobilier et sur leur petit nombril , les avec avec qui on partage nos « souffrances », les avec qui sont devenus insupportables parce qu’ils ne parlent plus que de ça et puis les gens qui arrivent dans notre vie plus tard et qui ne vous ont pas connus avant.

Mais quand l’imprévu surgit, la maladie, le malheur, la détresse , ce combat on le mène souvent seul. On a beau avoir l’impression d’être entouré d’amour, de bienveillance, de « soutien », on n’est jamais mieux servi que par soi-meme. Personne ne sait ce dont vous avez besoin, quand vous en avez besoin , comment vous en avez besoin , peu peuvent comprendre cette peine qui vous ronge , vous épuise, vous vide de toute humanité . La maladresse arrive en  container : on avait pensé que, on s’était dit que, on vous propose ... mais on ne veut pas de cette spontanéité, chacun reste à sa place, qui va venir « supposer que » et prendre des initiatives alors qu’on ne sait même pas quand recommence le prochain bloc de chimio? Être la pour les autres ce n’est pas prendre des initiatives à notre place, c’est déjà ce qui se passe depuis 11 mois, être là pour les autres c’est être disponible quand on le demande, c’est à dire pas souvent et pas pour grand chose et ça , c’est très difficile à comprendre et à faire comprendre. C’est comme l’allaitement, c’est «  à la demande » et c’est la moins mauvaise manière d’agir ... mais si quand je te demande, tu n’es pas là , et bien tu vas t’en prendre plein la gueule parce que c’est bien beau les belles paroles  toutes faites style carte postale ou chanson pre- ado «  on est la pour vous, vous pouvez comptez sur nous » mon cul oui...

À ce propos : la famille Donnay-Hirt apprécierait vivement que : la pilosité, le système reproductif et digestif ,le régime alimentaire, la température corporelle , le planning des blocs du protocole de chimiothérapies (que NOUS NE CONNAISSONS PAS 5 jours à l’avance) , les organes de sa fille ne soient pas au menu de votre brunch/ gigot dominical / beuverie ou en supplément de votre café en salle des profs. 

Il y a des combats que l’on ne peut pas mener seul mais celui ci, force est de constater qu’on le mène seul «  tu peux pas comprendre » n’est plus une formule de sitcom à l’eau de rose , tu peux vraiment pas comprendre. Ma peine , ma colère tu ne peux pas les porter , mes angoisses tu ne peux pas les vivre , mes colères tu ne pourrais pas les subir, mes pleurs tu n’as pas envie de les entendre, mes peurs tu ne peux pas les apaiser. Ava mène son combat, Sam mène son combat , leur père et moi on mène notre combat chacun comme on peut, avec nos ressources. Même dans une foule, même dans la ville bondée on se sent seul, vulnérable, agressé, insecurisé, les robots sont en marche , la mécanique est bien huilée . Les nouveaux rituels sont exécutés avec beaucoup de rigueur, pas de place à l’improvisation, ni à la spontanéité on prévoit tout mais à 2 jours maximum, et tu la sens là l’insécurité ? toi dont la vie était une suite de prévisions avez des tas de détails techniques : qui où quoi quand comment - tout sécuriser , tout prévoir, tout organiser comme ça on dort bien sur ses deux oreilles , les enfants (ni toi) ne sont perturbés, des rituels, du rassurant pour oublier l’enfance et l’adolescence ballottées , la violence, les déceptions. On prévoit le vacances, les week-ends, les sorties, on essaie de voir des amis , des collègues souvent, en couple ou,en famille , on remplit le quotidien morose avez des soupers, de verres , des balades et ça roule , jusqu’à ce que les seuls rituels que tu prévoies soient ceux de l’hôpital ou du retour à la maison alors là,oui, tu es seul.e à mener ce combat. Le couple, l’Autre ne fait plus partie de l’équation, c’est l’un ou l’autre, à l’hôpital, à la maison, en balade et puis parfois il y a une éclaircie, vous sortez à quatre, c’est rare, précieux et tellement anxiogène...