mardi 24 septembre 2019

Les Autres


Il a des combats que l’on ne peut pas mener seuls, il a des peines que l’on ne peut pas intérioriser. Tout ce qui touche a l’enfant est sacré dans nos sociétés , on le fête , on le gâte, on le surprotège, on construit sa vie amoureuse, familiale, professionnelle autour de lui et de son épanouissement. Passées les réjouissances de la naissance , on commence à apprivoiser cet être  qui pleure sans raison, demande toute notre attention , jour et nuit, nous épuise, nous vide de toute notre énergie mais nous rends tellement heureux. 
La maternité n’était pas pour moi une évidence , j’ai longtemps dû répondre à la pression sociale et aux  questions « et toi, c’est pour quand ? », «  tu nous ferais pas un petit deuxième? ». Depuis quand les gens décident de la vie intime de votre utérus? 
Et puis ça arrive, ce n’est pas toujours prévu, on change des habitudes, on déménage, on réorganise sa vie sociale, professionnelle parce il y aura les sans et les avec, les sans qu’on voit avec plaisir parce qu’ils sont toujours là et nous voient toujours comme des humains, les sans qu’on évite parce qu’ils sont trop centrés sur l’évolution de leur  patrimoine immobilier et sur leur petit nombril , les avec avec qui on partage nos « souffrances », les avec qui sont devenus insupportables parce qu’ils ne parlent plus que de ça et puis les gens qui arrivent dans notre vie plus tard et qui ne vous ont pas connus avant.

Mais quand l’imprévu surgit, la maladie, le malheur, la détresse , ce combat on le mène souvent seul. On a beau avoir l’impression d’être entouré d’amour, de bienveillance, de « soutien », on n’est jamais mieux servi que par soi-meme. Personne ne sait ce dont vous avez besoin, quand vous en avez besoin , comment vous en avez besoin , peu peuvent comprendre cette peine qui vous ronge , vous épuise, vous vide de toute humanité . La maladresse arrive en  container : on avait pensé que, on s’était dit que, on vous propose ... mais on ne veut pas de cette spontanéité, chacun reste à sa place, qui va venir « supposer que » et prendre des initiatives alors qu’on ne sait même pas quand recommence le prochain bloc de chimio? Être la pour les autres ce n’est pas prendre des initiatives à notre place, c’est déjà ce qui se passe depuis 11 mois, être là pour les autres c’est être disponible quand on le demande, c’est à dire pas souvent et pas pour grand chose et ça , c’est très difficile à comprendre et à faire comprendre. C’est comme l’allaitement, c’est «  à la demande » et c’est la moins mauvaise manière d’agir ... mais si quand je te demande, tu n’es pas là , et bien tu vas t’en prendre plein la gueule parce que c’est bien beau les belles paroles  toutes faites style carte postale ou chanson pre- ado «  on est la pour vous, vous pouvez comptez sur nous » mon cul oui...

À ce propos : la famille Donnay-Hirt apprécierait vivement que : la pilosité, le système reproductif et digestif ,le régime alimentaire, la température corporelle , le planning des blocs du protocole de chimiothérapies (que NOUS NE CONNAISSONS PAS 5 jours à l’avance) , les organes de sa fille ne soient pas au menu de votre brunch/ gigot dominical / beuverie ou en supplément de votre café en salle des profs. 

Il y a des combats que l’on ne peut pas mener seul mais celui ci, force est de constater qu’on le mène seul «  tu peux pas comprendre » n’est plus une formule de sitcom à l’eau de rose , tu peux vraiment pas comprendre. Ma peine , ma colère tu ne peux pas les porter , mes angoisses tu ne peux pas les vivre , mes colères tu ne pourrais pas les subir, mes pleurs tu n’as pas envie de les entendre, mes peurs tu ne peux pas les apaiser. Ava mène son combat, Sam mène son combat , leur père et moi on mène notre combat chacun comme on peut, avec nos ressources. Même dans une foule, même dans la ville bondée on se sent seul, vulnérable, agressé, insecurisé, les robots sont en marche , la mécanique est bien huilée . Les nouveaux rituels sont exécutés avec beaucoup de rigueur, pas de place à l’improvisation, ni à la spontanéité on prévoit tout mais à 2 jours maximum, et tu la sens là l’insécurité ? toi dont la vie était une suite de prévisions avez des tas de détails techniques : qui où quoi quand comment - tout sécuriser , tout prévoir, tout organiser comme ça on dort bien sur ses deux oreilles , les enfants (ni toi) ne sont perturbés, des rituels, du rassurant pour oublier l’enfance et l’adolescence ballottées , la violence, les déceptions. On prévoit le vacances, les week-ends, les sorties, on essaie de voir des amis , des collègues souvent, en couple ou,en famille , on remplit le quotidien morose avez des soupers, de verres , des balades et ça roule , jusqu’à ce que les seuls rituels que tu prévoies soient ceux de l’hôpital ou du retour à la maison alors là,oui, tu es seul.e à mener ce combat. Le couple, l’Autre ne fait plus partie de l’équation, c’est l’un ou l’autre, à l’hôpital, à la maison, en balade et puis parfois il y a une éclaircie, vous sortez à quatre, c’est rare, précieux et tellement anxiogène...

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