lundi 26 octobre 2020

joyeux canceriversaire

Ce jour-ci je l'avais rêvé, imaginé, magnifié. J'ai bien longtemps cru qu'il n'arriverait jamais...  Deux ans de larmes, de colères bruyantes, sourdes, latentes, deux ans de souffrance, de douleur, deux ans d'espoirs, deux ans d'hôpital, deux ans de mise au ban de la société, deux ans de chimios, deux ans de rdv médicaux immondes, deux ans c'est long, c'est court, deux ans c'est hier, deux ans dans la dèche, deux ans de photos, deux ans de bulle, de confinement avant que cela soit même à la mode, deux d'attente, longue, angoissante, deux ans perdus, deux d'enfance, deux de trentenaire, deux ans de vie, deux ans de salles d'attentes, deux ans de nuit agitées, deux ans de mort, deux ans de cheminement, deux ans de rencontres riches et inestimables, deux ans d'amour autour de nous, deux ans de solidarité, de poids à porter, deux ans de marathon, deux ans d'insomnies, deux ans de cris, deux ans de handicap, deux ans de justification, deux ans de paperasse, de coups de fils, d'explications... deux ans d'AMOUR et de MERDE.

J'avais rêvé ce jour comme de celui où on finit ses études supérieures, où on rend son mémoire et où on se dit "ah... c'était juste ça"

Sans ce jour, on aurait tous crevé et ce jour, on nous le vole. On avait imaginé des paillettes, des confettis, des feux d'artifice, du champagne, trop d'alcool, trop de nicotine, trop de tout, des voyages, des fêtes, des danses, du bruit, beaucoup de bruit, beaucoup de monde, plein plein de monde, des cris, des embrassades sans fin, des larmes de joie, d'émotion , des excès et là...rien... c'était juste ça? Pour nous c'est tellement, pour les autres c'est "juste "ça aussi , un jour comme les autres, passé enferme en télétravail, sans dîner, sans café avec les collègues, sans resto... un jour comme un autre, dans une actualité morose où cette liberté dont on a tant été privé pendant deux ans, l'état, la commune, la province l'école nous en prive. Alors ce jour, comme il y deux ans, on le passera seul, avec nos angoisses, nos larmes, nos stress, nos craintes qui ne cesseront jamais. Ce jour, on nous l'a volé comme on nous a volé deux ans de notre vie . Pourtant on fait les moutons, on a toujours suivi les sacro-saintes règles, parce qu'on a si peu débordé ou à peine outrepassé la loi, parce qu'on s'est dit qu'on l'aurait NOTRE jour de fête et puis non... en fait... c'est encore un jour de merde avec un goût un peu moins merdique que les 365X2 précédents.

Malgré ça, après deux ans, je ne sais toujours pas comment empêcher les commentaires sous les post facebook parce que je n'aurais pas envie d'y répondre, je ne sais toujours pas pourquoi c'est tombé sur notre gueule, je ne sais pas comment on se reconstruit après ça, je ne sais pas pourquoi on a eu la chance d'échapper au pire, je n'ai toujours rien compris. Je suis brisée, un peu plus qu'avant encore et je ne parviens à ramasser tous ces morceaux éparpillés de moi. Plus trop femme, compagne trop lointaine, trop mère , trop prof (à mon goût), mauvaise amie, soeur par intérim, fille indigne.

Je revis toujours cette journée demi-heure par demi-heure, j'ai encore le souvenir des odeurs, des goûts, des sensations, de ma tenue, du temps qu'il faisait, des voix, du bruit des machines, des explications données à la louche , de mon carnet où j'ai tout noté pour ne rien faire de travers, de ce que j'avais prévu de faire après la journée, du bruit de mes pas dans les couloirs. Je me souviens de TOUT, je n'oublierai jamais. 

Je pleure encore, souvent , je crie encore, souvent, j'ai envie de tuer tout le monde, souvent, j'ai envie de me tirer d'ici, souvent je ne trouve plus ma place, tout le temps. Alors j'essaie de dormir, je rêver à des meilleurs lendemains, aux voyages, à la vie des autres, à une autre vie. Et parfois mon coeur est tellement sec que je n'ai plus de larmes, juste de la rage, plus d'empathie, plus rien. C'est ce que le cancer a fait de moi , sans le vivre dans mon corps, il m'a gangrénée de l'intérieur, je m'applique à le faire sortir par tous les pores. Oui, j'aspire à des lendemains qui chantent, pour moi, pour nous, pour mes enfants, pour ceux que j'aime.



vendredi 9 octobre 2020

plus de pause

Il n'y a plus de pause, mon dos et mes trapèzes sont aussi durs  que des parpaings comme disent les français. Le cours est terminé depuis 15 minutes et je n'ai pas quitté mon bureau, mon ordi, ma chaise... les mails arrivent, les messages sur Teams (des gros pouces, des gros like, des bonshommes qui rigolent, des coeurs quand je dis que le travail est posté sur le bloc-notes ou quand je donne le numéro du local, la différence entre travail à distance et réseaux sociaux, entre privé et professionnel n'existe plus) Il y a aussi les étudiants qui ont l'impression qu'on est potes ou collègues et qu'ils peuvent me demander des comptes: "je m'étonne de me retrouver dans cette classe Teams alors que j'ai validé ce cours l'an dernier" alors, dis moi d'abord dans quelle classe et section tu es gros malin, parce que des Lucas j'en ai 15 et après on verra ce qu'on peut faire, je ne suis pas mentaliste, si t'es en 1re, t'as mon cours vu? comment je peux savoir que tu l'as réussi? ou "je m'étonne de ne toujours pas avoir de nouvelles de mon travail" (et bien c'est peut-être parce que j'en ai 250 à corriger, Coco...), les 25 "madame je suis malaaaatttt je vais me faire tester alors je me mets en quarantaine (enfin 15aine, enfin 7aine, enfin jesaisplus, je suis nulle en math), vous pouvez enregistrer votre cours? Les chats (messagerie) à gérer PENDANT le cours ZOOM parce que "ça ne fonctionne pas", "il me faut le mot de passe pour rentrer dans la réunion" (il n'y en n'a PAS!!!!) et où j'essaie péniblement de parler et garder mon calme avec mes gosses qui rentrent, passent derrière l'écran en croyant être discrets, portes qui claquent, chat qui miaule (le vrai) alors que je suis dans mon bureau. Les conversations de groupe (Madaaaammmmee, vous avez bien reçu mon travail, vous pouvez aller voir? et moi et moi? et moi? JE VOUS AI DIT 10 X QUE QUAND C'EST SUR LE BLOC NOTES, C'EST ENREGISTRE SUR LE BLOC NOTES VU???) Madame, je n'ai vraiment pas réussi à utiliser le bloc-notes, je n'y comprends RIEN (rassure-toi , moi il m'a fallu 5 jours et je suis pas payée en heures supplémentaires) alors je vous l'ai fait sur papier et j'ai pris une photo et je vous l'envoie par mail..." "Maaadammme, vous êtes notre titulaire: on peut vous le dire, ça ne va pas du tout, on a beaucoup trop de travail" 

OK, je n'ai plus officiellement 2 enfants, j'en ai 275...

Pas moyen de décrocher de ces écrans. Et quand tu quittes ce qui est lié au boulot c'est pour lire des trucs alarmants, alarmistes, angoissants: 

les quartiers populaires de Madrid reconfinés

G L Bouchez: "certains tentent de me viser"

Le nombre des contaminations et hospitalisations continue de grimper

Mise en garde contre les mauvaises interprétations d'autotest

L'école de xxxxx fermée car l'enseignante est testée positive au Covid

Coronavirus : la police prête à sanctionner le non-respect des nouvelles mesures, Les amendes devront être payées (oui merci, il manquait plus qu'ils recommencent ceux-là)

Le petit business du coronavirus

Trump pourrait être réélu

Plus de 1700 cas enregistrés aujourd'hui

Coronavirus: le cap des 100.000 infections franchi, faut-il céder à la panique?

Coronavirus ou grippe: quel comportement adopter lors de l’apparition de symptômes chez votre enfant?


Plus que 3 zones vertes en Europe


J'ai même pas bouffé au petit dèj, je suis restée vissée à ma chaise, à lire des conneries et j'ai une migraine d'enfer avant de partir faire mon EAD à l'école (vu que j'ai pas le temps de finir mon cours chez moi à 15h30 et d'être au local 119 à 15h31, je vais donner cours 2h seule dans une classe face à mon ordi, j'ai l'impression de devenir FOLLE). 

Et pour rire, la FWB , mon employeur, qui me paye depuis 13 ans et qui A ces p***** de papiers depuis perpètte me redemande des copies de mes diplômes Licence, AESS, CAPAES (en sciences :D , bien renseigné le gars et PDF ATTENTION HEIN!!! parce que coco y sait pas les imprimer alors) pour ma pension... ça doit être un signe de l'Univers... faut que je prenne une retraite anticipée.

Et puis la bulle de 3, la bulle de 4, je comprends plus rien, quand je donne cours c'est parfois la bulle de 30 si je puis m'exprimer ainsi (Truc remets ton masque, Machine écarte toi de ton camarade, Bidule remets ton masque et laisse une chaise entre Chose et toi, ah pardon c'est pas possible dans cette classe, alors si tu veux, tu sors...) et puis hier c'était aussi la bubulle rebondissante qui courait entre 2 classes (situées aux extrémités opposées dans le couloir) pour gérer 2 1/2 groupe vu que aucun local disponible ne pouvait accueillir mes 35 étudiants...bref, je deviens littéralement folle et je ne m'étonne plus  de chanter seule Eddy Mitchell dans mon bureau (avec imitation de voix s'il vous plait). Punaise j'espère que j'ai coupé l'enregistrement du cours...


Et dire que j'osais, au prémices de ce blog, me plaindre du cancer, de la charge mentale, de mes gosses...